lundi 31 juillet 2017

S E L M A




J'étais vautrée sur la banquette du van noir Merco quand Jenny m'a demandé comment je connaissais Selma. J'étais détendue à l'arrière. Je suis devenue indépendante dans l'entreprise, plus besoin d'envoyer les invitations, faire chauffeur ou d'attendre que la soirée finisse. J'assiste Jenny et Jo, plus besoin de faire toutes les dates, quand je suis sur une tournée je prépare "la party" je retourne à mon hôtel et parfois je reviens pour aider au rangement.
Jennifer est au volant, nous sommes sur l'autoroute direction Berlin. Il y a pas de limitation de vitesse en Allemagne, elle bombarde sur la file de gauche, elle a le visage fermé. On a retrouvé Elsa.
Ça faisait presque un an qu'Elsa avait disparu, selon Jonathan elle s'était assurée de prendre une partie de la recette avant de partir mais ce n'est pas ce qui avait contrarié Jennifer. Elle avait perdu de la crédibilité avec ses clients et depuis la mascarade d'Elsa, aucune party n'a été organisé à Paris.

_Tu es sûre que tu ne serais pas mieux en baskets?
Elsa attache la sangle de ses chaussures à talons hauts. Elle suspend son geste et dévisage Meghan étonnée. Il est évident qu'elles lui vont bien. Il lui faut quelques secondes pour comprendre le sens de la réflexion. Elle gonfle les joues, affirme :
_S'il faut courir, je les enlèverai.
Elle se redresse, cherche son manteau et se ravise :
_Ok appelle l'ascenseur, j'arrive. Tu m'as rendue parano. Je mets mes Airmax.
_J'ai pas remis des talons depuis le 13. A part les étés quand je mets des Birks, jamais de ma vie j'aurais autant marché à plat. J'ai peur que mon dos ne supporte pas le changement tellement il n'est pas habitué... mais j'ouvre le placard, je vois les escarpins, je pense au Bataclan et je mets des baskets. Les connards, j'aurais pas cru que je renoncerais si facilement à ce qui faisait l'essence de mon look.
Elsa est devenue parano depuis les attaques du 13. Les gens n'étaient même pas encore sortis de la salle de concert que déjà sur sa page Facebook elle écrivait "Padamalgam".
_Tu fais chier, j'y avais pas pensé et j'adore ces chaussures, elles me font un cul à la Jennifer Lopez.
Meghan se retient de lui dire "faut pas pousser non plus" Elsa à un gros cul, c'est entendu mais même sur des talons de 12, personne ne pense à J.Lo.
Megh poursuit ses réflexions :
_Bien sûr il est peu probable que moins de trois semaines après le Bataclan , des mecs attaquent Bercy...
_Ça ne s'appelle plus Bercy, tu le sais ça? répliqua Elsa.
_Qui change le nom d'un truc que tout le monde connaît? un con.
_On va se faire fouiller douze fois avant d'entrer. T'imagine, ils tuent Madonna?
Sur le quai du métro, Elsa sort son portable "on fait un selfie?" Elle pousse le filtre correcteur à dix lève la main pour cadrer leurs deux visages. Elle connaît l'angle qui la favorise, creuse les joues et bombes les lèvres. Elle remarque qu'une gamine les dévisage d'un air réprobateur, sous-entendu ces deux vieilles si ce n'est pas malheureux qu'elles minaudent pour une photo mais elle emmerde. Son Instagram est rempli de photos d'elle qui n'ont strictement aucun rapport avec sa gueule en vrai et si cette petite peste s'imagine qu'elle va culpabiliser de se faire plaisir...attends d'avoir mon âge gamine tu verras si t'aimes pas les filtres.
Quand Linus a laissé un message à Meghan en lui proposant deux billets pour le concert de Madonna et qu'Elsa pouvait l'héberger, elle savait que c'était un geste particulier et attentionné parce que son mec Polo n'est plus depuis le 13.
Linus était le manager de Polo, il lui trouvait quelques plans pour photographier dans les concerts. Il était encore avec Elsa quand ça c'est passé.
L'émotion de voir la Madone en concert et de repenser à la dernière fois qu'elle avait vue avec Polo - l'émotion de mesurer à quel point tout dans sa vie a changé, entre-temps et à quel point tout de sa vie d'avant, lui manque cruellement...on dirait que le peu qui lui reste est condamné à disparaître. Mais quand Linus a laissé ce message qui lui avait fait tant plaisir, elle n'avait pas imaginé une seconde que le jour dit elle irait à Paris en ayant l'impression de faire acte de résistance.
C'est ce jour-là que Meghan a rencontré Elsa.


Elsa était de passage à Marseille, elle en a profiter pour faire un coucou à Meghan. Nous étions chez elle ce soir là avec Carla. Dans un petit deux-pièces - moulures au plafonds, cheminée étroite dans le salon, parquet brillant et balcon fleuri avec vue sur les toits de Aix.
Ce soir on aller faire connaissance avec Elsa et on avait carburé au vin blanc sauf Carla qui était enceinte, qui ne pouvait pas attendre un jour de plus pour expulsé son môme et le chérir avec son grand cœur.
Elsa disait "Et si t'y arrives pas, franchement, n'oublie pas que t'es pas obligée d'être maman pour te sentir bien dans la vie... c'est pas que du plaisir, faut pas croire."
Elsa aime son fils. C'est un gamin rempli, de joie de vivre, qui a plein de copains, et qui fait de son mieux à l'école. Il est sale comme un cochon, mais à part ça c'est un bon gosse, elle a de la chance. N’empêche que si c'était à refaire, elle n'aurait pas d'enfant. Dans la balance, entre ce que ça lui a coûté et ce que ça lui apporte, le calcul est vite fait. Déjà toute seule, payer les factures tout les mois n'est pas une mince affaire, mais si t’ajoutes un gosse à l'équation, c'est un naufrage. Elle est une machine à dire non, depuis qu'il est adolescent. Non au Ipad non au portable non au concert de Soprano non au maillot du Barça... Il a prend pour une planche à billets. Elle voit que ses copines sans enfants ont la belle vie. Grasses matinées, sorties quand elles veulent, si tu veux bouffer des fraises tagada toute la journée en chaussettes et regarder Nrj 12 ça ne regarde que toi... Quand t'as un gosse, c'est tous les jours éplucher les légumes, en plus il n'aime pas ça, ranger derrière lui, surveiller les devoirs, l'emmener à l'entrainement de foot... Romain a quatorze ans. Il vide un frigo par jour. Il a tout le temps faim. Qu'est-ce qu'on y peut. Il grandit tellement vite qu'il lui coûte une fortune en chaussures. Elle ne peut pas l'engueuler quand il touche le bout alors qu'elles sont encore mettables. Le mec, il pousse dans tout les sens. Depuis le début de l'adolescence, elle ne sait jamais, le matin, quelle gueule il aura en arrivant pour le petit dèj. Un jour c'est le nez qui pousse - paf - il avait une gueule d'ange et brusquement le machin c'est Quasimodo, un autre jour c'est l'acné... Qu'est-ce que tu veux faire. Tu vois le désastre, les trucs blancs purulent, tu casses la tirelire pour la dermato et quand elle te prescrit des crèmes plus chères que les antirides La Prairie, tu les payes. Après, t'as le dentiste qui décrète que ton gnome a les dents qui poussent de travers et qu'il lui faut des bagues. Ça coûte une fortune cette connerie mais tous les gosses en ont. Tu ne vas pas le laisser avec les chicots en chaos sous prétexte que t'avais besoin de changer la machine à laver qui n'essore plus. Ensuite il faut des lunettes. Tu négocies sur la monture, mais quand même, tu vas pas laisser ton môme se faire cracher dessus par toute sa classe parce qu'il a des lunettes de pauvre, donc tu raques... Pendant ce temps, toi t'as pas acheté de nouvelles chaussures depuis 1995. Mais bon t'appelles ta banque et tu demandes un crédit. T'as les moyens, ou pas, la facture, c'est la même. Récemment, c'est sa voix qui change. Elle ne le reconnait plus quand il appelle au téléphone. Elle a du mal à pas rigoler quand il parle. Damn, on appelle pas ça l'âge ingrat par hasard.
Elsa est caissière au Monoprix, elle est très organisée. Mais un gosse c'est un bon vingt heures de taf supplémentaire par semaine, auxquelles tu n'échappes pas. Elle ne peut pas non plus s'organiser au point d’arrêter complètement de dormir.
Quand elle a déballé tout ça, Carla a fait les gros yeux. Genre la maternité, c'est sacré, le bonheur des femmes passe par là. Facile à dire pour elle qui est toujours avec son mec. Mais fuck that!!  parlons-en des mecs... vas-y, pour tomber amoureuse quand t'as un petit à la maison. Tu niques pendant les heures d'école, alors si le mec travaille - beh tu niques pas. En plus Romain n'aimes pas les mecs avec qui elle couche. Et elle ne peut pas dire que c'est parce que le petit est exclusif. Il aimerait qu'elle se trouve quelqu'un. C'est plutôt qu'il est lucide elle ramène toujours des cassos à la maison. En cas de conflit d’intérêts entre le mec qui te plaît et ton fils c'est pas ton fils que tu vas foutre dehors. Elle est convaincue que si elle n'avait pas eu de gosse elle se serait remise avec quelqu'un. Nous étions outrées qu'elles disent ça. Mais elle était sincère, c'est tout. Ok :  tu n'es plus jamais seule. Mais justement : tu n'es plus jamais seule. Carla et moi on la dévisageaient en disant t'es une mère indigne, tu devrais avoir honte. Meghan préparé des encas en faisant des allers-retours elle dit  ne prêtez pas attention elle a surement tiré des traits en écoutant Le Masque et la Plume. Elsa s'en fout, elle a l'habitude. Elle a enfoncé le clou. Elle a demandé à Carla " t'es heureuse avec ton mec? oui? Eh bien dis-toi que tout ce que t'aimes de la vie avec lui, ce sera terminé quand t'auras ton gosse. C'est la mort du couple, la famille " A partir de là, elle s'e'st arrêtée parce que Carla la regardait comme si elle allait l'étrangler. Les autres femmes ont du mal à être sincères avec ça. C'est comme l'excision, la maternité, les gadjis se sentent obligées d'être celles qui vérifient que toutes les autres y passent.
Elle s'est arrêtée là, l'essentiel du message était délivré. Elle avait tendu l'atmosphère, alors elle a rétropédalé - elle nous a fait rire. Elle a embrayé sur la nouvelle manie de Romain de se branler tout le temps. Nous étions choquées, mais hilares. C'est vrai Romain depuis un an, il faudrait changer ses draps tous les jours. Elles achète des boîtes de Kleenex et elle en met partout dans la maison sinon il s'essuie n'importe où. Le pauvre, il doit être épuisé. Elle n'entre plus jamais dans sa chambre sans frapper. Des fois elle se fout de lui, quand il reste dix minutes aux chiottes après une scène un peu torride dans un film. Son historique Google est une vraie encyclopédie du X. Son père dit qu'elle ne devrait pas fouiller ses affaires , que c'est une intrusion dans sa vie privée. Qu'elle ne sait pas ce que c'est l'adolescence pour un garçon. Il n'y a que quand il chante qu'elle est sûre qu'il se branle pas. Il n'arrive pas a faire les deux en même temps. Romain chante faux. Et putain il en existe combien? Au moins six milliards de chansons sur cette terre... Eh bien lui il chante La Marseillaise. Et il fait des enchaînements sur du Soprano.
Elsa avait détendu l’atmosphère avec les branlettes de son fils. Meghan avait les larmes aux yeux tellement elle riat. Elle a demandé _
_mais pourquoi il chante La Marseillaise?
_A cause du 7 janvier. Il est devenu patriote. Après les attentats il rentré le soir super fier de me dire qu'il avait fait la minute de silence sans broncher. Je lui ai dit j'espère bien, tu crois pas que je vais te féliciter pour ça? Faut dire dans son collège, il faut voir les engins...ils font peur, les trucs. Quand il était encore en primaire je me souviendrai toujours de lui qui jouait dans sa chambre avec deux copains de classe et tout à coup je l'entends qui gueule "fais gaffe je suis fort comme Mohamed Merah" comme il aurait dit je suis le pape ou Spider-man. J'ai déboulé dans sa piaule en demandant "tu peux répéter?" et là mon gosse tranquille souriant content de lui me répète sa connerie : "je suis fort comme Mohamed Merah" . Il avait appris ça à l'école. Il ne s'attendait pas à ce que je prenne mal. Je lui ai soufflé dans les bronches, j'aime autant te dire qu'il a compris qu'il y avait un problème. Et les deux autres, c'était comme mon fils - rien qu'à la gueule qu'ils ont, tu sais que c'est pas à la maison qu'ils ont entendu dire ça". Depuis ce jour, chaque fois qu'elle voit Latifa Ibn Ziaten à la télé elle va chercher Romain et elle le met devant l'écran. Et après, elle vérifie : " Tu trouves qu'il est fort, le débile qui a tué son fils?" Tout ça pour en arriver là : son fils chante La Marseillaise en se lavant les dents. Quasiment, ça fait apprécier Soprano...enfin tant qu'il chante, il ne se branle pas.
Puis elle avait enchaîner : "je voudrais bien me convertir  à l'Islam, vu comment les médias et les terroristes salissent cette religion ça doit trop être la vérité".
Ça avait froissé Meghan. Je n'ai plus revue Elsa depuis.

C'est Linus qui voulait un enfant. C'était son idée. Elle l'a eu. Mais lui il est le père quand il a le temps. Un peu moins d'un week-end sur deux, en définitive. Pareil pour la pension alimentaire, il a paye quand il peut. Et tout son entourage le félicite "putain qu'est-ce que tu t'occupes bien de ton fils" . Il l’emmène voir un match au Parc des Princes une fois par ans,  un concert ou à Disneyland quand il a un ami qui travaille pour avoir ses heures d'intermittence et peut les faire entrer... et si tu demande à Linus où il en est de la paternité, il te répondra " j'assure" . Mais si une femme se comportait avec ses enfants comme Linus avec son fils, elle aurait la police de la bonne conduite maternelle au cul non stop.
Linus il a un sacré répertoire, il connait du monde dans le "showbizness". En ce moment il est avec Sandra, elle a vingt deux ans, elle veut devenir célèbre. Elle est jolie comme un cœur, elle a les jambes un peu courtes, le nez trop prononcé, il lui a déjà suggéré une opération, elle a peur que ça fasse mal. Elle a beaucoup d'ambition, il lui manque l'essentiel, la niaque. Elle a été trop gâtée, elle croit qu'on peut réussir sans se faire mal. Il aime beaucoup mais il a aussi besoin d'air. Sandra le bombarde de textos. Elle est furieuse qu'il soit parti en soirée avec la mère de son fils, sans lui proposer de venir. Elle est trop jeune pour comprendre. Linus a essayé de lui expliquer tout ça posément, gentiment mais elle ne veut rien entendre. Il apprécie qu'elle soit jalouse. Qu'elle se salisse un peu en chialant comme une gosse capricieuse à qui on ne donne pas tout ce qu'elle veut. Elle se plaint de rater cette soirée privé en plus ce soir il pleut sur Paris elle envoie des emoticones qui pleurent. Et quand elle voit qu'il ne cède pas, elle grimpe dans les tours et gueule qu'elle est sûre qu'il couche encore avec sa vieille, qu'il a préfère à elle, que c'est un pervers, et tout un tas de conneries qu'elle s'invente, toute façon Linus n'a pas son portable sur lui.
Linus et Elsa on mis du temps avant de s'entendre, après la rupture. Pour le petit chacun y a mis du sien et ça a fini par s'arranger. Elsa a beaucoup de problèmes, elle est instable, ingrate, elle se victimise à  longueur de journée, elle est pleine de tocs et d'angoisses...mais c'est la mère de son fils. Il ne la laisse pas tomber. Le plus difficile quand on se sépare, c'est de voir que l'autre ne parvient pas à être heureux. Linus voit bien que sans lui elle est larguée. Elle aimerait qu'il se remettent ensemble. Ce n'est pas possible trop tard il en est désolé. Pour elle souvent il monte lui faire un peu de conversation, quand il ramène Romain. Elle est tellement seule. Et ce soir là elle était en larmes, il lui avait proposé de sortir pour changer le quotidien.
Une soirée un peu spéciale, il lui a expliquer longuement les party J&J(Jennifer & Jonathan). Elle avait l'impression qu'il se tapait une crise de la cinquantaine, un moment de confusion bizarroïde durant lequel il retournait faire des raves dans la boue en gobant des ecstas. Elle se disait c'est con tant qu'a péter les plombs, tu ferais mieux de me sauter en souvenir du bon vieux temps.
Ça faisait plusieurs mois que Linus attendait d'être invité, ça le rendais heureux comme un gamin. C'est Polo le mec à Meghan qu'il avait brancher sur ces soirées. Il lui expliquait que la sélection était très dure, parce que les organisateurs n'avaient pas envie de se retrouver avec quatre cents personnes ingérables. "Ça briserait la magie" L'époque appartient aux VIP, aux gens qui ont l’accès et qui l'apprécient justement parce que les autres ne l'ont pas.
_J'ai le droit d'inviter une personne. Tu as ton permis, t'es une provinciale, on se partage la route, Ok.
Et c'était tellement soudain, tellement n'importe quoi que Elsa n'avait pas eu le temps d'angoisser. Ils étaient passés sans transitions d'une atmosphère d'adultes dépressifs à un chaos de jeunesse, elle a pris deux tee-shirts et une culotte, pendant qu'il roulait un joint léger pour la route, il y avait entre eux cette effervescence gratuite, agréable, la connivence idiote que génère ce genre de départ.
Elle se sentait ivre de cette liberté, cette liberté, cette légèreté qui avait caractérisé sa vie durant des années et dont elle avait tout oublié. S'il lui avait laissé une nuit pour réfléchir, elle se serait rétractée, l'idée de conduire trois heures pour aller danser dans les champs lui aurait paru tout à fait saugrenue. Il avait embarquée, elle avait laissé son portable chez elle, comme il le lui avait demandé. Ça l'avait angoissée la première heure, s'il arrivait quelque chose à Romain, on ne pourrait pas nous joindre...etc. Linus l'avais calmée, il disait on a passé des vies entières sans nos téléphones, c'est la règle là bas - personne ne se prend en photo, personne ne vas sur internet. C'est important, elle avait failli s'agacer.
_Pardon de penser que mon fils est important.
Linus avait haussé les épaules.
_C'est mon fils aussi. C'est environ six heures sans qu'il te joigne. Tu te souviens qu'on a vécu sans que nos parents nous appellent toutes les heures, et qu'on n'en souffrait pas tellement?
Elle s'était tue. Il l'avait énervée mais quand il avait mis les Bee Gees, elle avait abdiqué, et s'était mise à chanter dans la voiture. C'est compliqué de faire la gueule en écoutant Stayin' Alive.
Quand ils étaient arrivés au point de rendez-vous,  il fallait attendre "les navettes" qui faisaient des allers et retours. Il y avait du monde, la plupart des participants se reconnaissaient, se souriaient. Elsa avait fait quelques raves, dans les années 90. Elle en gardait un bon souvenir. Elle adorait la MDMA. Elle n'en prend plus. Ça lui fait trop mal à la tête en descente. Comme toutes les drogues nouvelles il a fallu attendre un peu avant de comprendre ce qu'elles ont de dangereux. Celle-ci rend dépressif. L'inverse de l'effet qu'elle fait quand elle monte. Un méchant boomerang.
A peine sur les lieux de la party, ça ne l'avais pas surprise, cette étendue de personnes cool, contents d'être là. Elle reconnaissait ce genre d'ambiance, il faut un peu de temps pour lire une foule, au début on ne perçoit que la multitude. Progressivement son regard était entré dans les détails. C'était plutôt des blancs mais pas aussi uniformément qu'un festival techno ou un  concert de rock. En terme d'âge c'était assez mixte. Il y avait beaucoup de gens de son âge mais aussi des jeunes, il y avait même des vieux. Il y avait plus de femmes que d'hommes ce qui d'emblée avait stressé Elsa - si c'était un truc de meufs elle ne voyait pas bien comment ça pourrait être génial. Quand c'est génial, les mecs sont là - CQFD.
Elle avait continué de se dandiner tandis que Linus était allonger avec deux jeunes punks, l'une crête orange et l'autre iroquoise rouge avec les racines noires. Veste kaki, baskets pourries. Elle s'était dit en les voyant ah ben voilà les chiennes à punks, typiques. Quand elle était arrivée à leur hauteur elles s'étaient roulées un long patin langoureux. Moins typiques du coup, le duo.
Il y a une grande buvette où ils ne vendent que de l'alcool, pas de sandwich, pas de tee-shirt. Ça, plus l'absence de téléphone, qu'elle continuait de chercher machinalement dans sa poche à intervalle régulier, lui parut un peu angoissant. Comment tuer le temps si on ne peut pas regarder son fil d'actualité? Les gens prenaient les consignes tellement au sérieux qu'elle s'est demandé si elle n'était pas tombée dans une secte. Pas le moindre selfie, pas le moindre texto qu'on rédigerait planqué.
L'ambiance était monté d'un cran la douceur des gens était devenu de la sensualité puis la sensualité du désir. Les couples les moins probables se formaient et se noyer dans une fontaine alcoolisé. La musique est bizarre, pas désagréables on l'entend à peine. Putain les gens n'étaient plus eux mêmes, c'était abusé. Ils ont trouvé un truc se dit Elsa. Ils mettent quelque chose dans la musique. C'est sûr, Woodstock ou quoi, des bisous, des câlins, une meute de peluches!
Elsa s'était mise a crier, on peut dire qu'elle avait pas casser mais détruite l'ambiance. Surtout quand elle avait prononcé des paroles en arabe sur Allah et tout, elle disait que toutes les personnes ici sont des envoyés de Satan et que les organisateurs finance l'état islamique, c'est pour ça que les portables sont interdits.
La musique c'était arrêté, hystérique Elsa était parti en courant, Linus était à ses talons.

Jennifer s'est arrêté a une station d'essence, elle parti se ravitailler en petit carré de chocolat Côtes d'Or. Je suis resté dans le van a essayer de contacter une nana de Berlin qui devait s'occuper de conduire les gens à la party ce soir. Ça fait deux heures qu'on roule et je n'ai pas fermé l’œil. Il reste encore environ deux heures pour arriver à Berlin. Je vais prendre le volant parce que Jenny est exténuée et impatiente d'arriver, on a une party à organiser ce soir. Tout est déjà en place mais bon il faut assurer. Hier nous étions à Munster, petit comité les gens ne viennent plus trop depuis le dérapage de Paris. C'est un cercle d'invités très privé donc le bouche à oreille c'est vite fait. C'est du passé mais ça ronge Jenny de l’intérieure. Je n'étais pas présente ce soir là, je ne mesurer pas l'ampleur de cette histoire et ce que ça avait coûté à J&J, mais c'était une évidence la plupart des personnes importantes qui dépensé sans compter ne répondez plus aux invitations.
Après avoir laisser quelques messages, Hind m'a enfin rappeler. Elle dit qu'elle ne pourra pas être là ce soir, un imprévu dans sa famille. Hind c'est une française qui s'est installé à Berlin avec son mari Mehdi. Elle travaille pour J&J chaque fois qu'il y a une date dans sa ville. C'est des musulmans pratiquants avec son mari. Quand elle doit travailler sur une party ,elle dit à Mehdi qu'elle va garder les enfants de sa copine parce qu'elle est de garde la nuit à l’hôpital. Le mensonge passe bien vu que ça n'arrive que trois, quatre fois dans l'année.
Aujourd'hui elle nous plante, elle avait des sanglots dans la voix au téléphone. J'expliquais à Jenny quand la sonnerie du téléphone nous a interrompu, cétait a nouveau Hind. Elle a dit qu'elle pouvait se faire remplacer par une personne de confiance à 100%. Elle s'appelle Selma, elle parle français et un peu allemand, elle nous dit rdv à la gare et nous envoie la photo de Selma... J'ai dit à Jenny:
_mais elle me dit quelque chose cette fille, c'est une pote à Meghan un peu fofolle!
_Montre la photo! Mais...mais c'est Elsa putain!! Pourquoi elle dit qu'elle s'appelle Selma?? dit-elle avec la bouche pleine de chocolat
Jennifer était à cran. Elle a dit je reprends le volant on va la chercher de suite. J'ai essayé de la calmer, j'ai dit j'ai un plan : on va dire à Hind que c'est Ok pour Selma et on va la cueillir tranquillement. Elle est remontée dans la van, le visage fermé elle a accéléré pendant que je me vautrais à l’arrière comme une larve.

L'aube remplit la chambre d'une lumière grise. De l'autre côté du mur, dans la cuisine, Hind s'affaire. Selma entend le petit Ways, qui se lève avant les autres parce que son école est plus loin et qu'il ne doit pas rater le bus. Il parle allemand, même quand on le questionne en français. C'est son préféré des trois fils. Ways a six ans, elle a pas honte d'employer maladroitement les mots qu'elle apprend avec lui. Au contraire, elle le fait rire quand elle essaye de dire quelque chose d'un peu compliqué. Il faut profiter de ce moment de calme parce qu'en suite descendront Zakaria et Anis et il ne sera plus question d'écouter piailler les oiseaux... Zakaria est le plus grand, est contrarié dés le réveil, il pleure en devenir rouge et quand on ne cède pas à ses caprices, il se tétanise en hurlant de plus belle. Anis est plus souriant, il a huit ans et suce encore sa tétine pour dormir.
Selma aime la compagnie des enfants. Quand elle a appris qu'il y avait trois garçons, elle a eu un peu peur de ne pas savoir s'occuper d'eux. Elle leur parle français, ils répondent en allemand, qu'elle apprend avec difficulté. La première fois qu'elle a vu Anis suspendu dans l'air par un élastique qu'il avait accroché à l'armoire pendant que Zakaria se chiait dessus en frappant le sol avec ses pieds et que Ways lançait ses Playmobil dans toutes les directions en faisant des bruits d'avion mitrailleur, elle a pensé à son fils. Elle voulait rentrer à Paris. Je préfère me prendre un coup de couteau me faire renverser par une voiture... je serais toujours mieux chez moi avec mon Romain qu'avec cette meute de Gremlins.
D'habitude, à cette heure-ci  Selma s'est déjà faufilée hors de sa chambre pour mettre en route la cafetière. Elle sait combien il est agréable d'être accueillie par la bonne odeur du café chaud. Hind apprécie son geste mais aujourd'hui elle ne veut pas se livrer à cette mascarade. Elle doit partir. Sa décision est prise. Même si ça lui fait peur. Cette crainte pour son petit confort la révulse. Elle méprise tous ses remords d'hypocrite. Elle sait qu'au fond c'est pas la peur qui la retient ici c'est le vice.
Elsa a atterrit ici peu de temps après la party parisienne. Linus l'a conduite de nuit, en voiture, jusqu'à Liège elle n'avait pas posé de question. Linus avait dit à Elsa de se faire oublier, qu'elle était en danger. Il les connaît les gens comme Jonathan et Jennifer, quand tu niques leurs réputations ils te le font payer. Elsa avait renâclé en s'enfuyant, elle craignait que ces timbrés s'en prenne à son fils, Linus l'avait rassurée. "Ils sont plus primaires que ça. Ils ne vont pas s'attaquer à notre famille, c'est toi qu'ils veulent punir - il lui disait ne t'en fait pas, ça passera vite, on se retrouvera tous c'est juste une question de mise au vert, l'affaire de quelques mois.
Elle passerait un peu de temps comme fille au pair en Allemagne. Elle avait promis de ne rien faire sous sa véritable identité. Ni permis de conduire ni cours de gym ni emploi déclaré. Et surtout pas de réseaux sociaux, ni d'abonnement de téléphone. Elle s’effaçait, elle lui avait confié son passeport.
A la gare routière de Liège, elle avait payé son billet en liquide direction Berlin., à l'arrivé l'attendait la mère de famille chez qui elle travaillerait comme fille au pair dans une famille qui pensait accueillir une jeune chômeuse française, décider à apprendre l'allemand pour chercher du travail là où en trouve.
A sa grande surprise la dame est voilée et musulmane. Elsa à dit "Salam je m’appelle Selma". Dans la voiture elle regardait la petite main de Fatma qui oscillait, suspendue au rétroviseur et le mouvement lui paraissait joyeux - comme bienvenue. Hind lui a tout suite été sympathique. Elle est bavarde, gaie et un peu excentrique mais c'est une femme pieuse et décente, en toutes choses. Son péché mignon c'est de mater des séries toute la nuit.  Elle ne brandit pas la religion à tout bout de champ pour prouver qu'elle a mieux lu le Coran que la voisine ou qu'elle est la croyante la plus respectable de tout le quartier. Elle ne fait aucun cinéma. Mais elle ne fait rien qui soit haram. Elle ne met jamais sa foi en avant, elle est pratiquante pas exhibitionniste.
Hind n'a aucune hypocrisie : elle est envieuse de ses voisins, elle est matérialiste, elle n'aime pas les enfants des autres et elle ne le cherche pas à le cacher. Elle n'est pas médisante même s'il peut lui arriver d'entretenir de mauvaises pensées. C'est une femme discrète, qui n'appelle pas l'attention et qui s'aviserait pas de s'adresser aux hommes sur un ton qui ne soit pas serieux. Tout en elle est impeccable, pensé d'une féminité pudique et douce.
Dans la voiture le premier jour, elle n'a posé aucune question gênante. Elle est une ancienne amie de Linus, elle lui doit un service. Elle est sincèrement convaincue que Selma cherche du travail en Allemagne et qu'elle a besoin d'un emploi le temps de maîtriser la langue. Hind ne pose pas beaucoup de questions parce qu'elle n'est pas très curieuse. Elle passe trop de temps à parler d'elle pour être indiscrète. Elle a besoin d'aide à la maison, ayant trois enfants jeunes et ne pouvant pas s'arrêter de travailler à l'hôpital où elle est aide-soignante, car son mari vient de perdre son emploi au supermarché et la maison ne tourne plus que sur un seul salaire. Elle ne lui raconte pas ça pour justifier que Selma allait devoir travailler chez elle à temps plein pour le gite et le couvert, ça ne lui parait pas anormal. It's win-win.
Les premiers jours, dans la matinée, comme si à distance il connaissait son emploi du temps et savait qu'elle se retrouverait seule dans la maison, Linus téléphonait sur la ligne fixe, ne disait jamais qui elle était et n'appelait pas Elsa par son prénom, il disait juste je voulais te dire qu'ici tout va bien et que son fils va bien. Selma avait toute suite le mal du pays, elle suivait souvent sur l'ordinateur de la maison, les émission de France Inter ou France Culture, ça lui rappel Paris et ce jour où Meghan lui a dit : "la coke et France Inter, c'est un très mauvais mélange". Après les attentats, il était progressivement devenu impossible d'écouter ces stations sans qu'il soit question de l'islam. L'élite française feuilleté le Coran et lui faisait dire ce qui l'arrangeait. On voulait à tout prix faire coïncider la parole du Prophète et le bain de sang qui fracturait le pays. Comme si ces terroristes venaient d'inventer le meurtre politique et qu'ils l'avaient fait sur ordre de Allah. Comme si les ignorants qui avaient perpétré ses crimes ne s'étaient pas d'abord inspirés des films et des jeux de Hollywood...qu'ils aillent arracher les racines de la violence là où elle a poussé et non dans ses prières. Aucun des assassins n'était pratiquant. Il n'était pas pourtant pas compliqué de voir que depuis le 11 Septembre, les tueurs avaient toujours choisi de parler le langage de l'Occident : la violence graphique, spectaculaire. L'esthétique du massacre, c'est Hollywood qui en a fixé les règles.
Au fil des mois elle avait pris ses marques dans la maison. Hind ne la traitait pas en domestique mais plutôt comme une jeune cousine qui donnerait un coup de main pour justifier qu'on l'entretienne. Elle était soulagée que Selma soit là et lui montrait beaucoup de reconnaissance. Si elle ramenait des gâteaux, il y en avait toujours pour elle. Comme de juste, Selma se tenait à distance de Mehdi, le père des enfants. L'islam interdit la promiscuité. Elle n'avait pas à se trouver seule en présence de Mehdi. Ils le savaient, l'un et l'autre et n'avaient pas eu besoin d'en parler. Elle n'entrait pas dans une pièce si elle savait qu'il s'y trouvait seul. Il faisait de même.
Selma ne dînait pas avec le couple, elle mangeait avant avec les enfants. Parfois, cependant le week-end elle prenait le café et le dessert avec eux. Mehdi était aussi un peu tchatcheur que sa femme était bavarde mais il aimer parler de la France. Ils échangeaient alors quelques mots, ils se côtoyaient essentiellement lorsqu'elle jouait dans le jardin d'en face avec les enfants et qu'il venait prendre Ways pour faire du vélo. Mehdi ne disait rien mais il montrait qu'il savait combien il est difficile de tenir trois garçons de moins de dix ans. Elle respectait Mehdi il était croyant et plein de retenue. C'était un homme intelligent, logique et agile... elle aimait son bon sens, son autorité naturel et son calme. Elle était trop concentrée sur ses propres pensées et les trois garçons accaparaient son attention.
Avec Hind en revanche elle tisait des liens d'amitié. Toute la journée,l'infirmière devait parler un allemand qu'elle détestait et qu'elle maîtrisait mal. Le soir venu, elle était contente de pouvoir s'asseoir avec Selma pour discuter. Le plus souvent Mehdi sortait de son côté. il se retrouvait au bar à chicha avec des amis musulmans français, immigrés comme lui et rentrait tard. Pendant ce temps là Selma supplier Hind pour qu'elle lui enseigne l'islam. Elle avait sorti un mytho.
_Je viens de me convertir et je m'y connaît pas trop encore.
Hind a été flattait par la proposition et elle a dit:
_Avec plaisirs mais tu promets de regarder des séries avec moi!
Tout les soirs elles étaient down, un épisodes de quarante minutes puis une heure a parler de religion. Après deux épisodes Selma se retournait vers Hind
_Je dormirai dans une autre vie! On continue?
Et Hind rigolait en se calant dans le sofa. Juste avant l'aube, à la fin du cinquième épisode, il arrivait qu'elles priaient ensemble, puis enchaîner un dernier épisode. C'était souvent Mehdi quand il rentrait à la maison, qui les envoyait se coucher. Un jour il s'était joint à elles mais il y avait trop de scènes de fornication dans Power  pour que Selma puisse regarder avec un homme dans la pièce. Elle s'était lever pour les laisser seuls et Hind avait protesté "c'est pas grave,, on regarde des Leftovers, reste".
Selma savait que marcher seule dans le quartier n'était pas tout à fait correct, sans quoi elle n'aurait pas soigneusement évité d'en parler à la famille qui l'accueillait. Elle s'octroyait cet étroit espace de liberté parce qu'elle se disait qu'elle ne sortait jamais de la maison et qu'elle avait besoin de prendre l'air. Ce jour là, il faisait particulièrement doux, un temps agréable quoique le ciel comme toujours ce soir était resté gris. Elle rêvassait tranquille lorsqu'elle s'était retrouvée nez à nez avec Mehdi qui remontait en sens inverse. Il avait ralenti, la reconnaissant et s'était adressé à elle sans agressivité mais surpris.
_Où tu vas en passant par là?
Elle avait senti ses joues rougir de honte, elle n'avait pas menti :
_J'avais envie de marcher.
Mehdi avait soupiré sans cacher sa contrariété.
_Je préfère que tu ne traînes pas les rues, les gens peuvent te voir et penser des choses alors qu'ils savent que tu travailles chez nous.
Elle n'avait pas eu le temps de répondre, un coup de tonnerre avait retenti et un orage terrible s'était abattu sur eux. Mehdi la voyant s'éloigner l'avait rappelée d'un claquement de langue sonore. Il avait sa tête des mauvais jours. Il avait aboyé "abrite-toi, tu vas pas rentrer sous cette flotte". Elle s'était tenue, tête baissée à côté de lui, sous un ponton. Mehdi fumait cigarette sur cigarette sans dire un mot. Puis il avait shifté littéralement comme si une décharge électrique l'avait mis sur d'autres rails, car quand il avait repris la parole, après de longues minutes de silence, c'était sur un ton amusé. "Sérieux qu'est-ce que tu fous à te pavaner toute seule comme ça? T'as rien à faire ou quoi? Ça m'étonne de toi, je ne m'attendais pas à ce que tu joues des tours à la double face. Ce n'est pas un quartier tranquille ici, il y a des dealeurs, des défoncés, des exhibitionnistes, t'as pas vu que c'est mal fréquenté?" Elle s'était excusée . Non, elle n'avait pas réalisé que c'était un mauvais quartier. La pluie s'était affaiblie. Il avait envoyé sa cigarette d'une chiquenaude et il avait dit que ce n'était pas la peine d'en parler à Hind, elle ne comprendrait pas. "Je ne veux plus te voir traîner ici, on est d'accord?" Et jetant un regard sur elle pour s'assurer qu'elle acquiesçait, il avait réalisé qu'elle était aux bords des larmes et s'était adouci. "Tu vas pas chialer en plus, je te dis juste que c'est pas un coin de touriste, t'iras te promener ailleurs... T'as qu'à emmener les petits, ils ont besoin de sortir eux aussi. Je suis pas furieux tu sais... Je t'ai pas trouvée au bar avec des hommes à faire la pute en buvant de l'alcool, je dis juste que tu ne te rends pas compte d'où tu mets les pieds, c'est normal tu ne connais pas la ville..."Il avait accompagnée quelques mètres. Ça avait gêné Selma qui ne se sentait pas en position de lui faire remarquer qu'il n'était pas correct en marchant côte à côte. Il avait fini par monter un chemin. "Moi je vais par là, tu sais rentrer, ça va? T'es tellement différente des filles que je connais, t'es tellement pas une fille de quartiers... Je sais jamais sur quel ton te dire les choses... Mais je voulais pas t'agresser". Elle évitait de regarder directement son visage mais elle voyait ses mains, l'os de son poignet saillant, les phalanges, la longueur de ses doigts et c'était dérangeant alors elle fixait l'eau. Il avait ri. "Toi on sait jamais ce que t'as dans la tête. Allez dépêche-toi de rentrer".
Il avait emprunté le chemin qui montait sur la droite et à quelques pas d'elle il s'était retourné pour lui faire un petit geste de la main, lui disant de se dépêcher. En le voyant de loin elle avait pensé pour la première fois qu'il était séduisant et Selma qui n'était jamais légère jamais frivole avait accueilli cette idée comme si elle lui était familière. Comme  si on pouvait jouer avec sans se méfier, sans se brûler. Mais si elle pense au jour où tout a commencé, c'était là. Ses mains tandis, qu'il lui disait qu'elle était différente des autres filles. Son souffle à côté d'elle, sa taille, son odeur qu'elle percevait et sa silhouette en hauteur lui adressant un signe.
Puis tout s'est enchaîné. Un soir au parc. Mehdi qui passe prendre Zakaria. Il traîne un tout petit peu plus longtemps que d'habitude à rassembler les affaires du petit et regarde Selma qui relève Ways, pensif. Puis son visage s'éclaire d'un grand sourire et elle remarque la blancheur de ses dents, tout en prétendant qu'elle regarde ailleurs. Il dit : "Tu nous fais beaucoup de bien  tu sais" avant de s'éloigner. Ce ne sont pas les mots prononcés qui auraient dû l'alerter mais la joie qui lui procurèrent.
Mehdi était à présent détendu avec elle. Un jour, elle est dans la cuisine. Il frappe et rentre sans attendre qu'elle réponde, il se fait un café. Elle essuie la vaisselle du petit déjeuner. Elle sent son regard d'homme sur son dos. Gênée, elle réajuste machinalement le voile qu'elle porte maintenant autour de son visage et au ton de sa voix elle sait qu'il sourit, il dit : "Mais oui tu es belle arrête de t'arranger, t'en fait pas, tu es très belle comme ça", elle se retourne vers lui, surprise et offensée mais il est décontracté. Il fait comme s'il ne voyait pas le mal. Comme s'il ignorait qu'on ne doit jamais prendre plaisirs à porter le regard sur une femme qui n'est pas la sienne. Elle aurait dû protester mais elle a continué la vaisselle, attendant qu'il quitte la pièce.
Lui il a l'approche la cinquantaine. Il a vécu en France à une époque où les musulmans ne respectaient guère la religion. Cette époque où on les avait dépouillés de tout. Leur histoire, leur culture, leur Dieu. Ils n'étaient pas assez bons pour devenir des vrais Français mais ils ne devaient pas non plus se prendre pour des Arabes. Ils devaient rester invisibles. C'est dans ce no man's land qu'il a grandi, il a trois soeurs. Selma le sait de Hind. Il n'avait sans doute pas pensé à mal en entrant dans la cuisine alors qu'elle y était seule. C'est en tous cas ce que Selma avait choisi de se raconter.
Il n'était revenu que quelques jours plus tard. Elle équeutait des haricots verts qu'elle pensait préparer en salade. Il avait commenté l'affaire récente d'un centre de réfugiés auquel on avait mis le feu et devant lequel une petite foule d'Allemands s'était rassemblée pour chanter en signe de joie. Les traits du visage de Mehdi s'étaient durcis en parlant de l'incident et Selma avait voulu croire que le moment était mal choisi pour lui dire qu'il ne devrait pas s'asseoir dans la cuisine où elle se trouvait seule. Dix fois elle a eu l'occasion d'avoir l'attitude correct. Dix elle a fait le mauvais choix. Elle prenait plaisir à l'écouter parler. Pourtant, il n’était pas brillant. Si elle comparait sa conversation à celle des gens qu'elle fréquentée dans son quartier à Paris, il y avait même quelques chose de grossier dans ses raisonnements. Ce n'était pas ce qu'il disait qui lui plaisait c'était son ton, cette assurance bienveillante et ce sourire qui planait sur tout ce qui lui disait. Ce soir-là, elle n'avait pas regardé de série avec Hind. Elle s'était juré de partir le lendemain. Elle se débrouillerait une fois dans la rue pour prévenir Linus. Elle se racontait des histoires et le lendemain elle avait réussi à se convaincre qu'il ne lui adressait plus la parole, parce que lui aussi savait qu'il était allé trop loin et qu'il devait être plein de repentir.
Mais le désir des hommes se conjugue à l’impératif. Constatant qu'elle restait sous son toit, il s'était légitimement persuadé qu'elle le tentait. Il a disparu la journée entière puis une autre, s'occupant à l’extérieure du matin au soir et Selma n'est pas partie.
Le troisième jour, alors qu'elle pliait le linge dans la petite pièce où elle repassait elle avait entendu monter les escaliers. Elle était terrorisée. Elle préparait des mots secs, tout en sachant qu'elle avait tort, qu'elle aurait dû faire ses bagages. Elle avait aussitôt reconnu l'odeur. Il sentait l'alcool. Il y avait dans ses yeux une tristesse qu'elle connaissait pas. Sans un mot elle avait voulu quitter la pièce, il avait retenue par le bras. Elle avait cherché a se dégager mais il était plus fort que ce à quoi elle s'attendait, il l'immobilisait sans effort, il avait dit : "C'est tellement bon que ce qui nous arrive, ça ne peut pas être mal" et la forçant à lui faire face, il avait plongé ses yeux dans les siens. Elle avait découvert cette sensation qu'il lui manquait et qui la submergeait avec une violence inouïe. Son corps debout contre le sien, elle ne pouvait plus rien faire. Aucun son ne franchissait ses lèvres. Elle était subjuguée. Elle s'était rendue. Ils étaient restés immobiles, face à face, de longues minutes, il avait noué ses mains dans son dos à elle, il s'était lové dans son cou. "Je ne sais pas ce que tu me fais Selma je n'ai jamais connu ça tu me rends fou je rêve de toi je me réveille je pense à toi je te cherche  tout le temps je n'ai jamais connu ça on ne peut pas résister, on en a trop envie".
Elle s'était arrachée à cette étreinte au prix d'un effort surhumain, elle avait dit ce n'est pas possible Mehdi et elle s'était enfuie. Elle savait que la transgression commise était aussi grave que la fornication. Alors elle avait commencé son cinéma "Ma vertu est perdue, je dois partir mais avant cela je dois contacter Linus en attendant que faire, je vais préparer mes valises mais que dire à Hind? Elle avait pris du plaisir avec un homme qui n'était pas le sien. Techniquement elle venait de reperdre sa virginité et dans des conditions les plus déplorables. Puis elle s'était occupée des enfants comme si de rien n'était. Elle se sentait vidée, salie, détruite. Le soir venu Hind lui avait dit tu sais Mehdi est allé voir un Chibani, il était ensorcelé, je pense que c'est les voisins qui nous ont mis le mauvais œil, il a recraché le morceau de gâteau empoisonnée, il va beaucoup mieux maintenant, je suis tellement soulagée.
Pendant plusieurs jours, il ne lui avait pas adressé le moindre regard. Elle en était soulagée. Elle ne pouvait effacer le péché mais tout rentrait dans l'ordre il avait trouver de l'aide à l’extérieur, il était guéri. Tout s'expliquait : c'était un coup de folie, l'oeuvre du diable. Selma évidemment était responsable de ses actions. Elle prier avec la ferveur de la pécheresse. Elle taillait dès qu'elle reconnaissait son pas, emmenant les enfants dans les autres pièce. Elle avait trop honte pour le croiser, désormais, trop honte d'elle.
Et puis Hind, un jour avait emmené les petits au cirque. Selma était allé faire des courses. Il avait surgit au coin de la rue. En le voyant elle avait senti une vraie colère, elle s'était dit " Il m'attend" elle avait fait demi-tour. Mehdi l'avait rattrapée. Elle avait dit, fixant le sol "Je ne veux plus que tu me parles" et il n'avait rien dit. Son coude avait effleuré le sien, elle avait tourné la tête. Il souriait et de nouveau cette folie plein la peau. La voix de la raison, lointaine, n'accédant plus à sa conscience. Au coin de la rue il avait embrassé. Dans la rue. A pleine bouche. Damn.
Elle avait toujours jugé avec sévérité les femmes qui ne savent pas maîtriser leur sensualité et à la première occasion elle avait cédé  avec une fougue dont elle se serait crue incapable. Elle ne connaissait pas ce corps impétueux, habité. Il l'avait prise par la main et ils étaient montés dans sa voiture. Elle sentait la honte mais sa force était bien inférieure au désir qui la conduisait. Forniquer dans une voiture au fond d'une impasse était bien la chose la plus dégradante qu'elle puisse imaginer. ça lui rappelle les timbrés le soir de la rave à Paris. Mais elle n'y pensait pas, elle le désirait trop, elle n'avait pas été dérangée par le volant ni les témoins possibles ni l'étroitesse de l'habitacle.
Puis ils étaient rentrés dans maison de sa femme et de ses enfants. Elle avait les mêmes gestes que tous les autres jours.
Mehdi était doux avec elle. Il ne parlaient pas de ce qui se passait. Ils auraient aimé être capables de mettre de l'ordre dans leurs agissements mais dés que les enfants étaient absents, il l'emmenait dans sa voiture et ça recommençait. Les vitres se couvraient de buée et plus ils le faisaient et plus elle aimait le faire. Elle connaissait ses gestes par cœur, comme une chorégraphie, parce que faut le dire le gars il a pas baiser trente six meufs dans sa vie et ça se voit tellement. Mehdi, il aurait voulu la prendre comme deuxième épouse mais la société dans laquelle ils vivaient n'était pas respectueuse de leurs codes, ses sentiments de ce point de vue étaient purs, il le disait, il aurait aimé que ce fût possible. Il aurait aimé lui faire des enfants et qu'ils vivent comme ils le faisaient mais sans mentir et elle aurait secondé Hind, comme elle le faisait déjà. Sa femme était trop occidentalisée pour accepter l'idée d'une deuxième épouses sous son toit. Il commettait un péché, c'était entendu mais un péché qui dans d'autres circonstances n'en aurait pas été un. Il ne volait pas la femme d'un autre. Il ne touchait pas une mécréante.
Selma, se perdait entièrement. Elle levait les yeux sur un homme qui lui était interdit. Elle se livrait à la fornication et y prenait plaisir. Elle était folle de cet homme. Elle perdait tout dans cette étreinte. Si elle avait été tout à fait sincère, elle aurait compris qu'elle blasphémait : une part d'elle même persistait à se racaonter que cet amour était trop pur pour qu' Allah n'en soit pas témoin.
Elle évitait Hind. La coupure avait été facilitée car l'infirmière avait dû faire des gardes de nuit. Jusqu'au jour où tout avait basculé. Un soir que Hind n'était pas de service, elle avait frappé à la porte de Selma. "J'ai besoin de sortir ce soir tu t'occupes des enfants? Ils étaient déjà couchés. Selma s'était installée dans le salon pour les entendre, si l'un d'entre eux se réveillait. Elle regardait la télévision, à présent elle comprenait bien la langue allemande. Lorsque Hind avait garé sa voiture dans le garage, elle avait remis un peu d'ordre sur la table basse et s'était préparée à dire je m'endormais je monte dans ma chambre tout de suite. Hind sanglotait, Selma avait hésité. Elle était mal à l'aise, elle avait eu peur de s'entendre dire : je sais tout je vais te tuer ou peut-être le désirait-elle.
Hind pouvait à peine parler, tant elle pleurait mais elle avait demandé entre ses larmes :
_Tu veux bien nous faire une verveine menthe?
Selma, bêtement avait demandé :
_Ca va pas?
_Beh non pas trop, je crois que ça voit... Avait répondu Hind en lui jetant un œil noir.
Ensuite elles s'étaient attablées dans la cuisine, un mug bouillait contre leurs pommes et Hind avait dit "ça recommence, je croyais que c'était réglé...je l'ai suivi. Il est chez elle! Je le savais. Sa voiture est en bas de chez elle. Il ne cherche même plus à se cacher. Dès qu'il a recommencé à boire, j'ai su que ça allait repartir. Mais comme il était allé voir le désenvoûteur... je ne crois pas à ces trucs-là mais psychologiquement, tu vois je croyais qu'il reprendrait ses esprits. On a trois enfants. Qu'est-ce que je pourrais faire moi toute seule avec trois enfants...et cette pute de Française là, toujours à écarter les cuisses, elle couche avec tout le monde, j'espère qu'en prime il ne va pas me ramener des saloperies...avec les Françaises ils ne se comportent pas comme avec nous. Ils savent que c'est tous les jours porte ouverte, pourquoi se gêner..."
Blablabla, Selma comprenait, Mehdi avait une histoire avec une autre fille. Une Française qui travaillait dans son supermarché. Il n'avait jamais été licencié. Il était parti. Il avait choisi entre sa femme et cette pute. Parce que c'était une pute, une femme qui boit et qui sort et qui voit des hommes et qui met des vêtements aguichants et qui se frotte et qui ne croit en rien. Mehdi avait choisi sa femme et ses enfants. Il avait mis des distances mais il avait rechuté. Il l'avait revue. Elle vivait pas trop loin de chez lui. A cet endroit précis où Selma l'avait croisé, le jour de l'orage. Alors elle revenait en arrière et se souvenait de son mouvement d'humeur et elle comprenait la scène autrement. Il visitait sa maîtresse et avait craint que Selma n'en parle à sa femme. Selma, une nouvelle fois sentait son monde s’effondrer. Comme si la réalité n'était qu'un décor en tissu, un rideau qui tombe, qui ne tient à rien.
Elle avait demandé à Allah de la punir. Il obtempérait, bien au-delà de ses espérances. Elle avait dit je ne comprends pas Mehdi est un bon musulman, pourquoi ferait-il une chose pareille et Hind avait rigolé.
_Ce n'est pas parce que tu fais le ramadan que la religion t'intéresse. Il fume, il baise...non, il n'est pas si croyant que ça. De toute façon les hommes tant qu'il aura des putes comme elle pour ouvrir leurs cuisses, ils mettront leurs bites dedans. Ils ne peuvent pas se retenir. Le cerveau est bien moins fort que les testicules. Tu crois que je devrais le foutre dehors?
Selma avait posé sa main sur la sienne.
_Il t'aime, ça se voit. Vous former un couple extraordinaire, il serait perdu sans toi.
_Alors qu'est-ce que je dois faire?
_Prier tu dois prier pour qu'il revienne! T'occuper de tes enfants et préparer de belles vacances, vous devriez partir tous les cinq, je te donnerai du fric que j'ai de côter, vous organiser des vacances tellement belles qu'au retour il ne  pensera plus à elle.

Elle attend que la maison soit vide et envoie un message à Mehdi, le prévenant qu'elle ne pourra pas s'occuper des petits. Elle ferme la porte, laisse les clefs dans la boîte aux lettres. A ce moment, le téléphone fixe sonne, elle revient sur ses pas... C'est Hind, "je t'ai trouvé un job bien payé pour ce soir mais tu devrais partir maintenant parce que la personne va t'attendre devant la gare d'ici quelques heures".
Trois heures plus tard Jennifer ralentie à sa hauteur. La première chose qu'exprime le regard de Selma est "elle me dit quelque chose cette gadji".
Elle grimpe dans le van  à mes côtés sans rien dire, elle s'est habitué aux jobs clandestins. Jenny conduit avec des gestes souples, des gestes d'homme. Selma a posé sa tempe contre la vitre. Elle regarde Jenny et se rappelle de cette femme qui vivait en dehors de toutes les règles de la décence. Et pour la première fois elle comprend qu'elle lui ressemble et qu'elle ne peut pas la juger.
Dans le van David Bowie chante I'm Blackstar et Jenny, préoccupée, tire ses cheveux en arrière.
_ Il est mort Bowie, tu as entendu? C'était interdit la musique où tu étais non? au fait, ça te va vraiment  bien le voile.
Et Selma voit une larme se dessiner au coin de son œil en se disant "entre un homme et une femme le troisième c'est Sheitan".


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